Le 10 mai 2016 la cour d’appel de Paris déboutait Oracle au profit de l’AFPA (l’Association Nationale pour la Formation Professionnelle des Adultes) dans ce qui semble être l’épilogue d’un long feuilleton judiciaire. Bien que très factuelle cette décision s’inscrit dans une succession de litiges du même type où les juges continuent de donner raison aux utilisateurs de licence de logiciel de grands éditeurs, et ce, dans des contentieux mettant en lumière l’épineuse question du périmètre du contrat et sur la bonne foi des parties dans son exécution. Mais depuis le 1er d’octobre 2016, la réforme du droit des contrats pourrait bien changer la donne sur les équilibres contractuels concernant les licences logicielles liant éditeurs et utilisateurs; à moins qu’elle ne fasse que conforter et affermir le mouvement jurisprudentiel de ces dernières années.
Contextualisation : l’utilisateur en position de faiblesse
Depuis quelques années, la pratique des audits contractuels concernant l’utilisation conforme des licences logicielles souscrites constitue une source de conflits à forts enjeux entre éditeurs et utilisateurs.
Les audits répondent à une nécessité pour les éditeurs de logiciels de sauvegarder leurs intérêts pécuniaires; ils permettent également de veiller à ce que les utilisateurs des logiciels qu’ils commercialisent n’outrepassent pas les termes de contrats de licence parfois extrêmement élaborés. Qu’on l’appelle « Licence », « Contrat de Licence d’Utilisateur Final », « End User Licence Agreement », ou « Terms Of Use » pour des « services SaaS », se lancer dans la compréhension fine d’un contrat de licence de logiciel demande une certaine expérience.
Bien souvent, malgré tous les efforts du lecteur, ambiguïté et imprécision des clauses poseront un problème. Cela découle de la complexité de la rédaction des licences de logiciels – du fait de modèles économiques de plus en plus fins -, de la technicité des produits, de leur évolution constante ainsi que d’une certaine volonté du rédacteur, compte tenu de la faible marge de négociation dont disposent les utilisateurs face aux grands éditeurs.
Il arrive souvent que les utilisateurs soient confrontés à de réelles difficultés d’interprétation de contrats de licence, dont le périmètre et les termes restent flous. Par conséquent, les éditeurs sont tentés d’exiger de leurs clients une régularisation opportune souvent très onéreuse, pouvant parfois s’élever à plusieurs millions d’euros.
Fréquemment qualifiés d’agressifs, les audits réalisés à la discrétion des éditeurs de logiciels ne sont pas contradictoires. Ils ont pour objectif de réduire les pertes engendrées par la contrefaçon, en sollicitant des utilisateurs une régularisation des redevances dues découlant de la découverte d’un usage accidentel ou délibéré en dehors des termes du contrat.
Or, d’apparence légitime, cet objectif a été détourné par les grands éditeurs de logiciels pour leur permettre d’exercer une pression financière sur les utilisateurs, notamment lors du renouvellement des licences.
Certains auteurs affirment que « le recours à l’audit s’est ainsi systématisé au cours des dernières années au point de devenir une ligne de business à part entière pour les grands éditeurs » (1).
Plusieurs grands éditeurs, n’ayant pas résisté à la tentation, ont goûté à la résistance de certains utilisateurs grands comptes tel que AXA, Carrefour (2) ou l’AFPA, et à un certain pragmatisme des juges de première instance puis d’appel.
Une relative bienveillance des Tribunaux
Au cours de ces dernières années, les juges ont sanctionné les éditeurs qui recouraient aux audits de manière abusive, contribuant ainsi à rééquilibrer les relations entre utilisateurs et éditeurs.
Déjà en 2014 (3), à travers trois décisions successives, les juges de grande instance de Paris ont rejeté les demandes de grands éditeurs de logiciel (Oracle et Actuate) au motif d’une mauvaise spécification du périmètre de l’audit des contrats de licences logicielles dont les termes n’étaient pas exposés de façon suffisamment claire.
À la lumière de ces trois décisions récentes, il est aisé d’en déduire que, en réaction aux abus commis par les grands éditeurs de logiciels et un usage parfois excessif des audits, les tribunaux de première instance ont adopté une interprétation favorable aux utilisateurs des licences en cause.
Toutefois, même si les utilisateurs saluent la position observée par les juges, il convient de rappeler que la jurisprudence récente en la matière résulte de décisions rendues en première instance et à l’issue desquelles des solutions n’ont pas encore été apportées.
Réforme: les solutions juridiques à venir
La réforme de droit des contrats a introduit de nouveaux principes susceptibles de venir en aide à l’utilisateur. On retiendra notamment :
– l’obligation des parties de négocier et d’exécuter le contrat de bonne foi ;
– un devoir d’information lors de la conclusion du contrat que les parties ne pourront ni limiter ni exclure ;
– la codification de la théorie de l’imprévision qui autorisera désormais le juge à réviser ou mettre fin à un contrat lorsqu’un changement de circonstances imprévisibles rend l’exécution du contrat excessivement onéreuse pour une partie.
Le législateur souhaite donc éviter ce type de situations litigieuses en favorisant la transparence entre les parties dès la conclusion du contrat.
Ensuite, une rédaction minutieuse permet invariablement de remédier à beaucoup de problèmes d’interprétation. Il convient à ce titre d’énoncer clairement le périmètre d’usage des licences, afin que celles-ci soient les plus appropriées à la réalité des usages par les licenciés et qu’elles demeurent assez robustes pour endurer des évolutions.
Cependant, nul rédacteur d’acte n’est grand devin et tout ne peut être anticipé. La consécration de l’imprévision vient donc apporter un potentiel garde-fou à des situations non envisagées qui deviendraient intenables pour l’une des parties.
Enfin, pour les licenciés qui n’ont pas le poids de négociation des grands comptes, le nouvel article 1171 du code civil prévoit désormais que « dans un contrat d’adhésion, toute clause qui crée un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat est réputée non écrite ». Reste à déterminer exactement ce qu’est un contrat d’adhésion, mais gageons dés maintenant que les contrats hébergement « cloud » d’IBM, AMAZON, OVH ou autre, ainsi que nombre de contrats SaaS, IaaS ou PaaS, en sont de parfaits exemples.
En attendant les premiers éclairages jurisprudentiels, utilisateurs comme éditeurs doivent prendre en compte ces nouvelles règles du jeux qui vont dans le sens de relations apaisées durant la vie du contrat, moyennant cependant certains efforts lors de sa rédaction initiale et à sa conclusion.
Gérald SADDE – Avocat au barreau de Lyon – Associé SHIFT Avocats – Docteur en droit
gs@shift-avocats.com – @SaddeGerald
(1) Varet E., Le point sur l’audit dans les contrats de licence de logiciels, RLDI 2012/85, n° 2872
(2) Sanction d’une mauvaise spécification du périmètre de l’audit de licences dont les termes n’étaient pas exposés de façon suffisamment claire par l’éditeur (Tribunal de Grande Instance de Paris le 12 juin 2014 et opposait l’éditeur Oracle à l’utilisateur Carrefour).
(3) (Tribunal de Grande Instance de Paris le 7 mai 2014, opposant l’éditeur Actuate et l’utilisateur AXA REIM).