En pleine expansion, les marketplaces et autres plateformes numériques bénéficient d’un encadrement juridique de plus en plus réglementé et de plus en plus fourni du fait de sa constante évolution. En conséquence, le législateur fait peu à peu émerger un « droit des Plateformes Numériques ».

Les premiers fondements du régime juridique des plateformes numériques avaient été posés par la loi « Macron » du 6 août 2015. Cette dernière avait notamment donné une première définition de cette activité et l’avait soumise à un principe de loyauté se traduisant par des obligations d’information[1].

La Loi pour une République Numérique (LRN), adoptée le 6 octobre 2016, a abrogé les dispositions de cette loi Macron et redéfinit le régime juridique auquel sont soumis les opérateurs de plateformes en ligne. A cet égard, la LRN a créé un certain nombre de nouvelles dispositions d’ordre général dans le Code de la consommation, et d’ordre plus spécifique dans le Code du tourisme pour les plateformes de location immobilière.

  1. Une nouvelle catégorie d’acteurs de l’internet

Juridiquement parlant, avant l’adoption de la LRN, on ne distinguait que 3 grands acteurs sur internet : les fournisseurs d’accès à internet (FAI), les hébergeurs, les éditeurs.

En créant la notion « d’opérateur de plateforme en ligne », la LRN vient définitivement sonner le glas de cet internet tripartite qui perdurait depuis la LCEN de 2004 et qui, manifestement, était devenu obsolète. Depuis l’avènement du Web 2.0, nombre d’acteurs sur internet ont en effet fini par jouer un rôle ne correspondant plus aux catégories juridiques existantes (éditeur pour une partie de leur activité, hébergeur sur une autre).

Face à cette réalité numérique devenue complexe, le nouvel article L. 111-7 du Code de la consommation indique qu’est qualifiée d’opérateur de plateforme en ligne toute personne physique ou morale proposant, à titre professionnel, de manière rémunérée ou non, un service de communication au public en ligne reposant sur :

  • le classement ou le référencement, au moyen d’algorithmes informatiques, de contenus, de biens ou de services proposés ou mis en ligne par des tiers, ou bien,
  • la mise en relation de plusieurs parties en vue de la vente d’un bien, de la fourniture d’un service ou de l’échange ou du partage d’un contenu, d’un bien ou d’un service.

En d’autres termes, tous les types de plateformes numériques sont ici concernés : marketplaces, moteurs de recherche, réseaux sociaux, comparateurs de prix, sites de mises en relation tel que Airbnb ou Uber – pour ne citer qu’eux.

  1. Le principe de loyauté des plateformes en ligne

Introduit par la loi Macron, le principe dit de « loyauté des plateformes » a été complètement réécrit.

  1. De nouvelles obligations d’information à la charge des opérateurs de plateformes numériques

L’article L 111-7 du Code de la consommation fixe les grandes lignes du principe de loyauté et prévoit désormais que tout opérateur de plateforme en ligne doit fournir  au consommateur une information loyale, claire et transparente concernant :

  • les conditions générales d’utilisation du service d’intermédiation proposé,
  • les modalités de référencement, de classement et de déréférencement des contenus, biens ou services ainsi mis en ligne.

En outre, dès lors que les opérateurs influencent le classement ou le référencement des contenus, des biens ou des services proposés, ils sont tenus d’informer le consommateur sur l’existence d’une relation contractuelle, d’un lien capitalistique ou d’une rémunération à leur profit.

Enfin, lorsque des consommateurs sont mis en relation avec des professionnels ou des non-professionnels, l’opérateur de la plateforme en ligne devra informer le consommateur de la qualité de l’annonceur et des droits et obligations des parties en matière civile et fiscale.

Un projet de décret d’application, dont l’entrée en vigueur est pour l’instant fixée au 1er septembre 2017 (et déjà ouvertement critiqué par les organisations professionnelles du numérique[2]), précise les conditions d’application des dispositions relatives à ce principe de loyauté.

  1. Trop d’informations tue l’information ?

Si les nouvelles obligations d’information susmentionnées paraissent légitimes au regard de leur objectif, à savoir obliger les plateformes gérées à titre professionnel à se montrer transparentes quant à leur fonctionnement, l’application de ce principe de loyauté soulève un certain nombre de difficultés.

D’une part, en étant tenu d’informer le consommateur sur l’existence de ses différentes relations contractuelles ou rémunérations à son profit, l’opérateur de plateforme en ligne pourrait se voir contraint de révéler des informations confidentielles couvertes par le secret des affaires.

D’autre part, le Code civil ainsi que le Code de la consommation prévoient d’ores et déjà une myriade d’informations précontractuelles en matière de vente en ligne. Le risque de noyade du consommateur sous cette vague d’informations est donc réel. A vouloir trop informer le consommateur, ne va-t-on pas finalement nuire à la clarté de l’information ?

  1. Un droit des plateformes numériques à géométrie variable ?

A situations différentes traitements différents : c’est l’enseignement que l’on tire du nouvel article L111-7-1 créé par la LRN.

Selon cet article, les opérateurs de plateformes en ligne « dont l’activité dépasse un seuil de nombre de connexions défini par décret élaborent et diffusent aux consommateurs des bonnes pratiques visant à renforcer les obligations de clarté, de transparence et de loyauté mentionnées à l’article L. 111-7 ».

Un autre projet de décret, dont l’entrée en vigueur est prévue en avril 2018, fixe le seuil du nombre de connexions au-delà duquel les opérateurs de plateformes en ligne sont soumis aux obligations de l’article L. 111-7-1 à cinq millions de visiteurs uniques par mois, par plateforme. Ce seuil est calculé sur la base de la dernière année civile.

Si cette responsabilisation accrue des grandes plateformes (type BlablaCar, Uber, etc.) vise, une nouvelle fois, un objectif louable, il n’en reste pas moins qu’elle crée une rupture d’égalité entre les différents acteurs d’internet ainsi que des effets de seuils dont on connait les effets pervers en matière de droit du travail.

  1. Régulation des avis en ligne

En sus des obligations d’information qui précédent, et toujours dans l’esprit du principe de loyauté, tout opérateur collectant des avis en ligne, tant à titre principal qu’à titre accessoire, devra également délivrer une information loyale, claire et transparente sur les modalités de traitement de ces avis.

Le nouvel article L111-7-2 du Code de la consommation prévoit notamment l’obligation pour l’opérateur d’indiquer :

  • si ces avis font ou non l’objet d’un contrôle et, auquel cas, d’indiquer les caractéristiques principales du contrôle mis en œuvre ;
  • la date de l’avis et de ses éventuelles mises à jour ;
  • les raisons de rejet de l’avis en ligne au consommateur qui l’aura publié.

L’opérateur devra également mettre en place une fonctionnalité gratuite qui permet aux responsables des produits ou des services faisant l’objet d’un avis en ligne de lui signaler un doute sur l’authenticité de cet avis.

  1. Les nouvelles règles applicables aux plateformes de location immobilière

Outre les dispositions générales s’appliquant à toute plateforme numérique, la LRN a créé un certain nombre de nouvelles dispositions spécifiques aux plateformes de location immobilière (articles L. 324-1-1, L. 324-2 et L. 324-2-1 du code du tourisme).

L’objectif est ici clair : réguler l’activité débordante de ces plateformes et, tout particulièrement, de Airbnb.

L’article L324-1-1 du Code du tourisme permet ainsi aux communes de plus de 200 000 habitants et à celles de la petite couronne parisienne de contraindre les loueurs de logements utilisant des plateformes numériques à se déclarer en mairie.

Concrètement, un numéro sera attribué par la mairie à chaque propriétaire qui propose son logement. L’objectif est de vérifier que ces loueurs de courte durée n’outrepassent pas la limite légale de cent vingt jours d’occupation par an par des personnes de passage pour les résidences principales.

Le second pan des nouvelles dispositions insérées dans le Code de tourisme vise quant à lui les plateformes elles-mêmes.

L’article L. 324-2-1 prévoit ainsi que toute plateforme de mise en relation de personnes en vue de la location ou de la sous-location d’un local meublé doit :

  • informer le loueur des obligations de déclaration ou d’autorisation préalables ;
  • obtenir du loueur, préalablement à la location du bien, une déclaration sur l’honneur attestant du respect de ces obligations, à savoir d’indiquer si le logement constitue ou non sa résidence principale et, le cas échéant, le numéro de déclaration du logement obtenu en application de l’article L. 324-1-1 susmentionné ;
  • veiller à ce que cette location ne dure pas plus de cent vingt jours par an lorsque le logement constitue la résidence principale du loueur. En cas de dépassement, la plateforme devra décompter le nombre de nuits faisant l’objet d’une occupation et en informer annuellement la commune du logement loué, à la demande de celle-ci. Au-delà de cent vingt jours de location, le logement ne peut plus faire l’objet d’une offre de location par son intermédiaire jusqu’à la fin de l’année en cours.

Conclusion:

On le voit, la LRN impacte pleinement les nouveaux géants du web et crée nombre d’obligations à la charge des opérateurs de plateformes numériques. L’Etat a, de façon pragmatique, jeté son dévolu sur des acteurs qui sont devenus centraux dans l’économie numérique et qui ont, depuis leurs balbutiements, entretenu un grand flou sur leurs responsabilités. Comme ils sont ni totalement neutres, ni totalement impliqués dans la production des services proposés, leur statut et leur niveau de responsabilité font l’objet de questions récurrentes à chaque émergence de nouveaux acteurs.

C’est donc pour certains un réel soulagement de voir apparaître des réglementations sectorielles. Cependant, ce choix de « l’hyper réglementation » a certainement un prix qu’il conviendra de mesurer, car il constitue un frein potentiel au développement d’acteurs français leaders qui devront faire face à des concurrents étrangers beaucoup plus libres de leurs actions.

[1] L’article L111-5-1 du Code de la consommation, aujourd’hui abrogé, prévoyait notamment l’obligation de délivrer aux utilisateurs une information « loyale, claire et transparente sur les conditions générales d’utilisation du service d’intermédiaire et sur les modalités de référencement, de classement, et de déréférencement des offres mises en ligne ».

[2]http://www.techinfrance.fr/static/2017/01/25/cp-tech-in-france-25-01-2017-de-cret-plateforme-art-49.pdf?nlkHU9w7FqKjeJTuqRGUOw:Q6ijFPHE5LBPYZz4Xfmijg:oTv1-jcK-jLtzRpEBHXm9w