Le sujet ne cesse de monter. La question de la protection des productions des IA est déjà derrière nous. S’est-elle vraiment jamais réellement posée d’ailleurs ? Voici venir le revers de la médaille, la question de l’IA contrefactrice. Nombre de nos confrères ont commencé à tirer la sonnette d’alarme sur le risque à utiliser certains générateurs d’illustrations ou de contenus supposés originaux. Car, l’expérience a été faite que l’IA peut tendre à devenir feignante et qu’elle en vient à reprendre les œuvres originales  telles quelles plutôt que de s’en inspirer uniquement.

L’IA semble parfois, sans doute par une forme de biais algorithmique, aboutir à la conclusion que le meilleur des résultats pour la requête effectuée n’est ni plus ni moins qu’une reproduction quasi identique de l’œuvre d’origine. Ceci pose indubitablement la question de la nature de ce qui est conservé en mémoire par l’IA lors de son apprentissage. Car on imagine difficilement que la même recette appliquée avec de nouvelles quantités d’ingrédients et une pincée d’aléa, aboutisse à un résultat similaire.

On nous répondra que cela dépend de la méthode d’apprentissage utilisée, de la méthode de génération des productions et de la nature de l’œuvre ou que sais-je ? Certes, mais le risque existe et bien vite surgit la question de la responsabilité à utiliser ces systèmes pour réaliser des publications signées de « sa plume ».

Pourquoi pas une IA contrefactrice ?

Vous remarquerez l’ironie de la chose : l’IA pêche par là où elle était censée se draper de vertu algorithmique. Supposée ne capter que l’écume de l’œuvre et de l’esprit de l’artiste, les systèmes d’IA partent du postulat que l’esprit humain n’invente rien et qu’une œuvre n’est que le résultat pour une part des connaissances accumulées et pour une autre part de la sensibilité de l’auteur qui va les adapter. C ‘est certainement vrai, mais dans quelle proportion l’une et l’autre influent-elles sur le résultat ?

La question est d’importance car il nous semble que c’est lorsque c’est la connaissance / expérience qui prédomine que l’on a le plus de risque de reprendre plus ou moins fidèlement les codes actuels jusqu’à une similitude de forme répréhensible.

L’IA se doit d’apprendre et « comprendre » ce que les humains produisent pour le traduire mathématiquement et statistiquement. C’est-à-dire déduire des règles, des spécificités qui permettent en changeant les variables de refaire les choses différemment en se fondant pourtant sur les mêmes principes, comme le ferait un auteur qui voudrait s’inscrire dans le courant artistique du cubisme ou du fauvisme. L’IA ayant cet avantage qu’elle peut en théorie éviter ainsi toute reproduction trop proche de l’œuvre d’origine car elle peut n’en conserver que les règles et non le détail. Et si elle parvenait à une certaine ressemblance ce serait de façon purement fortuite, lui ouvrant droit potentiellement à l’indulgence des magistrats.

Les avantages de l’IA en matière de preuve et de démonstration de la contrefaçon

En effet, deux œuvres peuvent se ressembler sans que l’auteur de l’œuvre seconde ait eu accès à l’œuvre première : un coup de pas de chance artistique en somme. (sur la « rencontre fortuite » exclusive d’une contrefaçon, une jurisprudence récente de cassation Cass. 1re civ., 5 oct. 2022, n° 20-23.629 ) . Une production par IA pourrait facilement tirer son épingle du jeu en démontrant techniquement les opérations qui ont conduit à la création de l’œuvre. A défaut d’être un auteur, elle pourrait démontrer ne pas être un contrefacteur plus facilement qu’un auteur humain, qui lui, pourrait prétendre à l’originalité de son œuvre mais en présence d’œuvre préexistante similaire, aura toutes les peines du monde à se départir de l’impression de déjà vu du bon père de famille. Et ce, surtout si l’œuvre première s’avère d’une certaine nouveauté dans le style ou produite par un auteur notoire.

L’IA nous semble intéressante de par la traçabilité et la transparence qu’elle peut apporter dans le processus créatif et qui pourrait simplifier l’appréciation de la contrefaçon. Elle pourrait prétendre à devenir un outil de sécurité juridique et pas seulement en matière de droit d’auteur et de contrefaçon. C’est sans doute pour cela que les mesures de sécurité avant mise sur le marché d’une IA à haut risque ( ce que n’est pas CHATGPT pour l’instant apriori) prévues par le futur Règlement IA incluent notamment la transparence, la traçabilité par journalisation et la robustesse (articles 12, 13 et 15 du IA Act) .

Finalement, l’IA a certainement de nombreux atouts en tant qu’outil de production assisté par ordinateur. Mais implicitement cela implique bien qu’il doit y avoir un contrôle humain de la production. Ce contrôle devrait passer par un contrôle des sources d’inspiration (rendues disponibles par l’éditeur du service) et une autocensure des productions trop proches des œuvres d’origine par l’IA elle-même.

Eu égard aux produits existant actuellement en matière de prédiction du résultat d’un procès, on peut aussi imaginer que les magistrats chargés d’évaluer la contrefaçon pourraient disposer à l’avenir d’un outil permettant de caractériser en chiffres les similitudes entre deux œuvres. Un tel outil qui serait ouvert au public permettrait une appréciation objective de l’acte de contrefaçon dont les contours demeurent bien flous. L’IA, de par son approche mathématique, a des avantages indéniables dont il convient encore de trouver les bons usages. Il n’y a pas d’IA juridiquement dangereuse, il n’y a que de mauvais usages.

La banalité comme nouvelle norme.

On sait que suivant les œuvres l’originalité peut-être plus ou moins forte. Mais avec l’arrivée de ces générateurs dopés aux algorithmes d’apprentissage, on devine aussi que de plus en plus de contenu ne sera même plus du tout protégeable car banal. C’est-à-dire rendu insusceptible d’une quelconque originalité car non produit par un humain. Seul un auteur humain doit pouvoir prétendre à être auteur et insuffler, peu ou beaucoup, à son œuvre, l’empreinte de sa personnalité. L’IA sonne peut-être la fin du « petit » droit d’auteur des « petites œuvres ». On notera que des cas hybrides existent où l’humain utilise l’IA comme un instrument de production dont il dirige et corrige le travail, assurant par là la partie créative (cf. La création de la 10ème symphonie de Beethoven). Cela n’est pas sans rappeler les principes soutenant le statut de l’œuvre collective où la qualité d’auteur des exécutants subordonnés est souvent niée.

En effet, quel avocat en défense, résistera à la tentation de contester l’originalité en accusant le supposé auteur d’avoir utilisé CHATGPT ou DALL.E ?  Et bien certainement aucun, car il est plus facile de contester la naissance même du droit d’auteur par « défaut d’auteur » que d’en contester l’existence par défaut d’originalité.  L’effet de bord étant que parmi les victimes figureront de vrais auteurs produisant de vraies œuvres.

L’IA pourrait bien apporter l’équilibre dans le droit d’auteur

Le droit a d’autres cordes à son arc mais force est de reconnaitre que la difficulté à discerner le vrai art du « faux » va poser une véritable difficulté pouvant aboutir à l’inutilité de certaines formes de droit d’auteur. Certains hurleront à la mort des auteurs, d’autres brandiront l’argument de l’acceptation du progrès. On peut deviner que seront renforcés d’autres critères que l’originalité comme la nouveauté ou l’investissement, mais ce ne sera donc plus exactement du ressort du droit d’auteur. En parallèle, les auteurs d’œuvres plus « majeures » devront encore plus prendre garde à pouvoir faire la démonstration de leurs travaux préparatoires pour démontrer qu’ils ont bien mis de leur personne dans l’œuvre et qu’elle est l’expression voire le prolongement de leur personnalité. Ce qui servait avant de preuve d’antériorité deviendrait alors une preuve d’humanité de la création. Mais après tout, la cuisine traditionnelle a bien survécu (non sans mutation) à l’apparition de la nourriture industrielle.

 

Et voilà comment en voulant parler du risque de contrefaçon par l’IA, on en arrive à parler du risque de dilution de l’art humain dans l’océan de la production générée par IA, une posture finalement très défensive alors que seul l’humain peut créer et transmettre une émotion dans ses créations. Vision poétique sans doute mais totalement fondamentale dans l’appréciation de ce qu’est fondamentalement le droit d’auteur.

 

Gérald SADDE

Avocat associé –

En quête du sens de ce cette grande vague…