Par un arrêt du 4 juin 2013, la Cour de cassation est venue enrichir le feuilleton IBM c/ Maif d’un troisième épisode. Retour sur une saga touchant aux grands classiques des contrats informatiques : l’obligation de conseil, la détermination du périmètre et le prix forfaitaire.

  • Synopsis

Souhaitant se doter d’un nouveau progiciel, destiné à moderniser les relations avec ses assurés, la Maif, après une procédure d’appel d’offres, à conclut le 14 décembre 2004, un contrat d’intégration pour un montant forfaitaire de 7,3 millions d’euros avec IBM.

Très rapidement, le projet a pris du retard et les solutions proposées par IBM ont conduit à une augmentation considérable des délais et du coût du projet. Face à ce constat, IBM et la Maif ont décidé de signer, les 30 septembre et 22 décembre 2005, deux protocoles successifs conduisant à une révision du projet initial, un allongement du calendrier prévisionnel et une augmentation du montant du forfait.

Finalement, IBM proposa une refonte globale du projet portant le forfait total à 15 millions d’euros.

Cette solution fut refusée par la Maif qui jugeait le montant exorbitant, compte tenu du forfait initialement prévu. Face à cette situation, la Maif décida en juin 2006 de rompre le contrat pour manquement d’IBM à ses engagements. Assignée en paiement par IBM, l’assureur forma alors une demande reconventionnelle en dommages et intérêts pour un montant avoisinant 20 millions d’euros.

  • Liste des Episodes

–       Episode 1 : première instance

Par jugement du 14 décembre 2009 (TGI Niort, 14 déc. 2009, BNP Paribas Factor et Compagnie IBM France c/ Maif), le Tribunal de grande instance de Niort avait annulé le contrat initial du 14 décembre 2004 ainsi que les protocoles des 30 septembre et 22 décembre 2005. Les juges du fond avaient considéré qu’IBM, en présentant à la Maif un projet, avant même le stade de la prise en compte de la conception détaillée, avait pris un risque fort pour obtenir le marché. Cette attitude fut qualifiée de manœuvre dolosive, condamnant ainsi IBM à rembourser les sommes versées et à dédommager la Maif du préjudice qu’elle avait subi. Pour rappel le dol est un vice de consentement prévu par l’article 1116 du code civil qui consiste dans le fait de conduire quelqu’un à contracter par tromperie.

–       Episode 2 : l’appel

Sur appel d’IBM, la décision avait été infirmée par la Cour d’appel de Poitiers dans un arrêt du 25 novembre 2011 (CA Poitiers, 25 nov. 2011, n° 10/00285, BNP Paribas Factor et Compagnie IBM France c/ Maif). Considérant que la Maif, en tant que professionnel averti, n’était pas profane en informatique et qu’à ce titre elle ne pouvait ignorer les risques d’un tel projet, la Cour avait jugé « qu’il y a lieu d’écarter le moyen invoqué par la Maif tiré d’une réticence dolosive d’IBM, dès lors qu’il n’est pas établi qu’IBM a dissimulé de surcroît volontairement à la Maif des informations majeures relatives au calendrier, au périmètre, au budget du projet. ». En conséquence, non seulement, la Maif dut restituer les sommes versées par IBM en exécution du jugement du TGI de Niort avec intérêts au taux légal, mais fut également condamnée au paiement d’arriérés, pour un total supérieur à 5 millions d’euros.

–       Episode 3 : la Haute Juridiction

Troisième rebondissement : saisie d’un pourvoi formé par la Maif, la chambre commerciale de la Cour de cassation dans un arrêt du 4 juin 2013 (Cass. com., 4 juin 2013, n° 12-13.002), considère que la Cour d’appel a légalement justifié sa décision en déboutant la Maif de son action en nullité pour dol en rappelant que l’obligation d’information entre professionnels est limitée.

En revanche, la Cour de cassation censure l’arrêt de la Cour d’appel sur un autre fondement juridique, celui de la novation, c’est-à-dire le fait de substituer une obligation par une autre obligation.

Pour mémoire, la Cour d’appel de Poitiers avait rejeté les demandes d’indemnités formulées par la MAIF au motif que cette dernière, en signant les protocoles des 30 Septembre et 22 décembre 2005, avait renoncé au contrat initial et ne pouvait donc s’en prévaloir.

Les juge de la Chambre commerciale reproche à la Cour d’appel d’avoir jugé que la MAIF ne pouvait plus se prévaloir des engagements initiaux, sans pour autant « relever d’éléments faisant ressortir que la Maif ait manifesté, sans équivoque, sa volonté, à l’occasion de la signature des protocoles des 30 septembre et 22 décembre 2005, de substituer purement et simplement aux engagements initiaux convenus par les parties dans le contrat d’intégration du 14 décembre 2004 de nouveaux engagements en lieu et place des premiers ».

Dans cet arrêt du 4 juin 2013, la Cour de cassation a donc rappelé que selon l’article 1273 du code civil, la novation ne se présume pas et doit être exprimée sans équivoque.

–       Episode 4 : en préparation (spoiler)

Le feuilleton n’est pas fini, la Cour de cassation ayant censuré la Cour d’appel de Poitier, les parties sont renvoyées au fond vers une autre Cour d’appel, celle de Bordeaux. Celle-ci sera appelée à se prononcer sur ce qui sera, peut-être, le terme de cette saga judiciaire. Le cas échéant, la Cour de Cassation pourra être saisie une dernière fois en Assemblée Plénière.

Il appartiendra donc à la Cour d’appel de renvoi, d’analyser le contenu des protocoles d’accord afin d’identifier si la Maif avait manifesté sa volonté sans équivoque et expresse de renoncer aux stipulations du contrat initial.

Une nouvelle décision au fond pourrait permettre à la Maif de récupérer les sommes acquises en première instance avec le bénéfice de l’annulation de sa condamnation en appel l’enjoignant à payer une facture impayée.

  • Ce qu’il faut retenir

L’arrêt de la Haute Juridiction est en quelque sorte une piqûre de rappel envoyée aux rédacteurs de contrats informatiques. Désormais, il convient de prêter une vigilance toute particulière à la rédaction des avenants, et ce, afin d’y faire apparaître la volonté sans équivoque et expresse des cocontractants s’ils souhaitent que ces avenants se substituent valablement aux engagements du contrat initial.

En d’autres termes, la rédaction d’un avenant à un contrat doit faire ressortir explicitement ce à quoi les parties acceptent de renoncer et poser clairement s’il emporte ou non novation des obligations initiales.

Dans un contexte de concurrence commerciale toujours plus tendue, cette leçon contractuelle de la Cour de cassation pourrait tendre à réfréner les pratiques de certains prestataires, qui, pour s’assurer de remporter un marché, s’engagent sur des tarifs avant même de connaitre l’intégralité du périmètre, des risques et des caractéristiques du projet, en sachant pertinemment qu’ils auront à renégocier le forfait. Généralement dans une position de faiblesse, le client voit alors disparaître des engagements fermes du prestataire pourtant prévus au contrat initial.

En définitif, il conviendra d’étudier attentivement l’arrêt de renvoi de la Cour d’appel de Bordeaux, dont les enseignements pourront certainement servir de guide de bonnes pratiques pour les projets informatiques au forfait.

La suite au prochain épisode…

Gérald SADDE Avocat fort fait mais pas avocat marron pour autant

et Charlie MAGRI juriste fort frais mais pas vert pour autant