Les chaines de télévisions ont vu leur place bousculée avec l’essor d’internet. De nouveaux diffuseurs ne proposant leurs services que sur internet sont apparus, ils sont appelés pure-players. Face à cette concurrence grandissante, les amuseurs du petit écran ont voulu leur part du gâteau et se sont à leur tour installés sur internet en proposant de diffuser en direct et en différé leurs programmes. La rencontre des deux mondes ne s’est pas faite sans douleur mais le contentieux naissant permet aux plus hautes juridictions d’éclairer sur ces nouvelles pratiques et à nous, professionnels du droit, de les décrypter.
Dans ce contexte, la Cour de justice de l’Union Européenne, dans un arrêt du 7 mars 2013, a dû se prononcer dans un litige opposant un pure-player à des chaînes de radiodiffusion britanniques.
TVC (TVCatchup) propose aux résidents du Royaume-Uni de voir en quasi direct, les programmes TV diffusés par les chaînes TV, depuis son ordinateur, sa tablette ou son smartphone. Plusieurs radiodiffuseurs ont assigné TVC devant la High Court of Justice pour atteinte à leur droit d’auteur sur leurs programmes diffusés par TVC. À ce titre, les radiodiffuseurs anglo-saxons soutiennent que les agissements de TVC constituent une communication au public non autorisée, prohibée notamment par l’article 3 de la directive « droit d’auteur » 2001/29/CE. Pour sa part, TVC estime qu’il n’y a pas d’atteinte aux droits des radiodiffuseurs car ses services étaient destinés uniquement aux résidents du Royaume-Uni (via un système de blocage des adresses IP étrangères) ayant déclaré posséder une licence de télévision valable. En d’autres termes, TVC ne fait qu’offrir sur internet les mêmes programmes que ceux disponibles sur la télévision. Il convient de préciser que le programme rediffusé n’est pas modifié, mais pour se financer, TVC intègre sa propre publicité avant le visionnage et en « insert ».
La Cour de justice de l’Union européenne est donc confrontée à la question suivante : les agissements de TVC sont-ils constitutifs d’une nouvelle communication au public devant être autorisée par les ayants droits de l’œuvre ? En d’autres termes, le droit d’auteur – dont sont titulaires les chaines sur les programmes – permet-il d’interdire la rediffusion sur internet, après une première diffusion sur la télévision ?
La Cour relève que la notion de communication ne fait l’objet d’aucune définition exhaustive mais qu’elle peut s’entendre comme la transmission ou la retransmission d’une œuvre au public non présent au lieu d’origine de la communication. La CJUE retient ensuite qu’au regard de la directive 2001/29 chaque transmission ou retransmission d’une œuvre par un autre moyen technique que l’original, doit faire l’objet d’une autorisation de l’auteur de l’œuvre en cause. Il en est alors déduit que les agissements de TVC constituent bien une communication différente du mode de communication d’origine et que par conséquent une telle retransmission doit faire l’objet d’une autorisation préalable par l’auteur de l’œuvre concernée. Le droit d’auteur des chaînes de télévision n’est donc pas épuisé après la communication d’origine sur la télévision, les chaînes peuvent alors autoriser ou interdire la communication faîte au moyen d’internet.
La Cour européenne précise que sa réponse n’est pas influencée par le fait que la retransmission revêt un caractère lucratif. Il en est de même quand l’organisme qui effectue la retransmission est en concurrence directe avec les radiodiffuseurs originaux.
À l’automne 2012, dans une affaire similaire opposant le groupe M6 à un pure-player, la Cour de cassation a donné raison à une société qui mettait à disposition des internautes des liens hypertextes profonds redirigeant vers les programmes en replay des sites M6 replay et W9 replay. En l’espèce, la Haute juridiction civile s’est notamment fondée sur des considérations économiques comme le contournement du dispositif publicitaire, et elle n’a pas eu l’opportunité de se prononcer sur la violation du droit d’auteur (pour des raisons probatoires sur les droits détenus).
Ainsi, la Cour n’a pas pu qualifier la nature juridique d’un lien hypertexte lié à une œuvre et nous dire ainsi si ce lien constitue ou non une communication au public non autorisée.
Pour connaître le statut juridique du lien hypertexte, il faudra attendre encore un peu. En effet, la Cour de Justice de l’Union Européenne a été récemment saisie de cette vaste question par la Svea Hovrätt (Cour d’appel suédoise). Patience donc.
Gérald SADDE – Avocat Associé
Nathan SOULIÉ – Juriste