Introduction [1]
Nécessité d’une définition de Second Life – Second Life est un espace virtuel dans lequel les utilisateurs mènent une vie numérique parallèle à leur vie réelle.
Comme cela a pu être écrit :
« Second Life est un monde virtuel tridimensionnel réservé aux adultes, qui permet à ses utilisateurs de faire exactement ce que son nom implique : vivre une seconde vie séparée et distincte de leur vie réelle. Au sein de Second Life, les utilisateurs (appelés « Résidents ») peuvent obtenir un travail, acheter des terres, commettre des crimes, construire une maison ou une carrière, se faire des amis, tomber amoureux, avoir des relations sexuelles, visiter des musées et, plus important encore, gagner et dépenser de l’argent.
Certains propriétaires au sein de Second Life […] vendent des articles virtuels protégés par des droits d’auteurs et des marques du monde réel. »[2]
Cette dernière phrase délimite le sujet dans toute son ambiguïté.
En effet, déterminer le régime juridique applicable à ce type d’univers suppose de qualifier des comportements virtuels.
Or, l’image d’un comportement n’est pas nécessairement traitée juridiquement comme le comportement lui-même et peut même ne pas être saisie par le droit du « monde réel ».
Pour pousser le raisonnement à l’extrême, le « meurtre » d’un « Résident » de Second Life ne saurait être qualifié pénalement de meurtre ou d’assassinat.
En revanche, en présence de phénomènes et de comportements ayant une incidence plus directe sur le monde réel, il est possible d’envisager l’application des règles de droit que nous connaissons.
Second Life pose donc la question de la qualification juridique de la représentation d’un comportement sur un écran d’ordinateur.
C’est une ambiguïté semblable que Philip K. Dick évoquait dans le titre de son ouvrage « Les androïdes rêvent-ils de moutons électriques ?»[3], question à laquelle nous pouvons faire écho aujourd’hui en nous demandant : « Les Résidents de Second Life rêvent-ils de concurrence déloyale? »
Plan de l’étude[4] – Cette ambiguïté en appelle une autre : en effet, entre responsabilité civile délictuelle et règle du jeu contractuelle, la notion même de concurrence déloyale dans Second Life est équivoque (1).
Pour autant, la concurrence déloyale est bien présente dans Second Life, et peut être sanctionnée (2).
1. L’ambiguïté de la concurrence déloyale dans Second Life
La concurrence déloyale est une notion fondamentalement délictuelle (1.1).
Dès lors, on peut s’interroger sur la place que peut lui laisser le fort encadrement contractuel de Second Life (1.2).
1.1. Le fondement délictuel de la concurrence déloyale
Le principe de la liberté du commerce et de l’industrie – La concurrence déloyale trouve son fondement juridique dans la responsabilité civile délictuelle.
Le décret d’Allarde des 2 et 17 mars 1791 et la loi Le Chapelier du 14 juin 1791 ont introduit en France les principes de liberté d’accès et d’exercice de toute profession et de liberté du commerce et de l’industrie, qui ont acquis valeur constitutionnelle et desquels découlent la liberté d’entreprendre et la liberté d’exploiter.
Chacun bénéficiant de la liberté d’entreprendre, ces principes impliquent donc celui de la liberté de la concurrence.
Toutefois, cette liberté n’est pas absolue : les pratiques concurrentielles ne doivent pas perturber le jeu du marché.
Ainsi l’idée d’une concurrence absolue a-t-elle été écartée au profit d’une concurrence « praticable ».
C’est pourquoi, si le dommage concurrentiel est en principe licite, les comportements considérés comme déloyaux sont prohibés, afin de protéger non seulement la clientèle mais aussi les titulaires de cette clientèle.
La limite de la responsabilité civile – La concurrence fautive est ainsi sanctionnée sur le fondement de l’article 1382 du Code civil, qui dispose que :
« Tout fait quelconque de l’homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer. »
Relevons ici que l’application du régime de la concurrence déloyale n’est donc envisageable que si un dommage est causé à « autrui », c’est-à-dire à une personne relevant du monde réel, et non à un personnage virtuel et notamment à un Résident.
1.2. L’encadrement contractuel de Second Life
La possibilité de la concurrence déloyale dans Second Life, notion délictuelle, se heurte au fort encadrement contractuel de cet univers.
Les « Terms of service » – Le premier élément contractuel est constitué par les « Termes du service » (« Terms of service »), qui définissent les conditions d’utilisation de Second Life.
Ces Termes du service prévoient tout d’abord que le droit applicable à Second Life est celui de l’Etat de Californie[5].
Pour autant, il n’est pas exclu que d’autres droits puissent s’appliquer à Second Life.
Ainsi, par ordonnance en date du 2 juillet 2007, dans une affaire opposant Linden Lab à l’association Familles de France, le Président du Tribunal de grande instance de Paris, statuant en référé, a retenu que préalablement à l’assignation, le demandeur aurait dû porter les faits en cause à la connaissance de Linden en vertu de la loi pour la confiance en l’économie numérique (LCEN)[6].
A la suite de cette décision, la société Linden Lab a publié un communiqué de presse[7] dans lequel elle a indiqué que, à son sens, le droit français et en particulier la LCEN devrait s’appliquer à Second Life – ce qui contredit donc les Termes du service.
Par ailleurs, les Termes du service placent au rang des « droits de propriété intellectuelle », outre les droits d’auteur, les marques et les autres droits de propriété intellectuelle bien connus du droit français, le « trade dress »[8], c’est-à-dire l’apparence distinctive du produit ainsi que les moyens distinctifs de sa commercialisation.
Le « trade dress » protège ainsi, notamment, les conditionnements et présentations de produits.
En droit français, ces éléments ne relèvent pas de la propriété intellectuelle : leur reprise n’est donc pas sanctionnée par une action en contrefaçon, mais par le recours à l’action en concurrence déloyale ou en parasitisme.
Les Termes du service comprennent également la prohibition de la contrefaçon[9], entendue comme la violation des droits de propriété intellectuelle tels que définis par ces même Termes – qu’il s’agisse des droits de Linden Lab ou de ceux de tout tiers, y compris des personnes qui ne jouent pas à Second Life[10].
Et la violation des Termes du service est sanctionnée par la suspension ou la résiliation du compte de l’utilisateur[11].
Les « policies » – Outre les dispositions des Termes du service, Second Life est soumis à différentes « chartes » (« policies »).
La Charte sur la propriété intellectuelle (« Intellectual Property Policy ») invite ainsi les utilisateurs souhaitant créer des objets à les doter d’une apparence et d’une forme originales, afin d’éviter tout problème de concurrence déloyale ou parasitaire[12].
Elle recommande en outre aux victimes de contrefaçon ou de concurrence déloyale de contacter le service juridique de Linden[13].
Au vu de l’importance du corpus contractuel qui encadre Second Life, le principe de non-cumul des responsabilités civiles délictuelle et contractuelle semble laisser peu de place à la possibilité d’une concurrence déloyale dans cet univers.
Pourtant, des comportements déloyaux peuvent bien y être identifiés et sanctionnés.
2. La réalité de la concurrence déloyale dans Second Life
Malgré l’obstacle théorique qui vient d’être évoqué, de nombreux comportements peuvent être saisis par la concurrence déloyale dans le cadre de Second Life (2.1).
Et ces comportements peuvent être dûment sanctionnés (2.2).
2.1. Les comportements déloyaux
La concurrence déloyale est classiquement analysée, en droit français, comme recouvrant trois types de comportements distincts :
– la concurrence déloyale par confusion, que l’on peut rapprocher, par certains aspects, du parasitisme (2.1.1) ;
– la concurrence déloyale par dénigrement (2.1.2) ;
– la concurrence déloyale par désorganisation (2.1.3).
La Common law comporte quant à elle une notion semblable mais hybride, entre responsabilité contractuelle et délictuelle : celle de « tortious interference » (2.1.4).
2.1.1. La concurrence déloyale par confusion et le parasitisme
A l’instar de la concurrence déloyale, le parasitisme peut se matérialiser (bien que cela n’en soit pas une condition) par la recherche d’une confusion.Et la confusion peut être recherchée de trois façons différentes.
2.1.1.1. Copie du monde réel vers Second Life
Il s’agit du cas dans lequel l’apparence d’un objet existant dans le monde réel est reproduite dans l’univers de Second Life.
C’est le cas le plus courant : les utilisateurs cherchent en effet souvent à reproduire dans Second Life les objets qu’ils connaissent dans le monde réel.
On peut ainsi envisager l’hypothèse d’un modèle de vêtement qui porterait une marque, et dont une reproduction serait vendue dans Second Life.
Ce cas ne pourrait pas constituer une contrefaçon de la marque en cause.
En effet, la contrefaçon exige la reproduction ou l’imitation du signe couvert par la marque, pour des produits ou des services identiques ou similaires à ceux visés au dépôt.
Or, dans le cas de la reproduction d’un vêtement marqué dans Second Life, si le signe en cause est effectivement reproduit, il ne l’est pas pour le produit visé au dépôt mais seulement pour l’image de ce produit (sauf à interpréter largement la notion de similarité des produits en cause).
Le titulaire de la marque ne pourra donc agir que sur le fondement de la concurrence déloyale.
Le cas des services est différent.
On peut ainsi envisager l’hypothèse d’une marque déposée pour un service de “consulting”, de tenue de comptabilité ou de conseil juridique.
Un utilisateur, via son Résident, pourrait choisir de proposer ces services dans Second Life sous cette marque : le signe étant reproduit et les services étant identiques, il y aurait alors bien contrefaçon.
Le parasitisme du monde réel dans Second Life – Le groupe U2 a été reconstitué sous forme virtuelle par des utilisateurs de Second Life, qui ont créé des Résidents reprenant l’apparence des musiciens du groupe, réunis sous le nom explicite « U2inSL » (« U2 dans Second Life ») et qui donnent des concerts pouvant rassembler soixante-dix à quatre-vingt Résidents.
Il est évident que la notoriété du groupe U2 est exploitée par ces utilisateurs de Second Life, dans le cadre de cet univers.
Cette situation semble bien pouvoir donner lieu à une action en concurrence déloyale ou parasitaire, puisque les utilisateurs concernés tirent parti, sans légitimité, des investissments et de la notoriété d’autrui.
2.1.1.2. Copie de Second Life vers le monde réel
Cette hypothèse correspond au cas où l’apparence d’un « objet » créé initialement sous Second Life serait été reproduite et utilisée dans le monde réel à des fins commerciales.
On peut ainsi envisager le cas d’une ligne de vêtements lancée dans Second Life par une première entreprise, qui souhaiterait ainsi tester à moindre frais l’attrait d’une nouvelle gamme et qui connaîtrait un certain succès.
Une entreprise qui copierait et mettrait en production cette gamme de vêtements dans le monde réel se rendrait coupable de concurrence déloyale ou parasitaire.
2.1.1.3. Copie de Second Life vers Second Life
Ce cas de figure n’a rien d’hypothétique : au contraire, « l’affaire Copybot », dont il constitue un cas réel, a largement défrayé la chronique au sein de la communauté des utilisateurs.
Un logiciel, dénommé « Copybot », avait initialement été développé à des fins de débogage : il permet en effet de contrôler le bon ou le mauvais fonctionnement d’un objet créé dans Second Life.
Il permet également la sauvegarde des objets créés sous Second Life.
Cet outil a par la suite été modifié et détourné de sa fonction initiale, pour permettre à certains joueurs de copier un objet de Second Life sans l’autorisation du créateur de cet objet.
On sait en effet que, dans Second Life, le créateur d’un objet peut accorder aux autres utilisateurs le droit de copier l’objet en question, ou se le réserver, à travers le réglage des « attributs » de cet objet.
Or le logiciel Copybot modifié permettait à tout utilisateur, par exemple de se rendre dans un « magasin de vêtements » de Second Life, de copier les « vêtements » qui y étaient vendus et de les proposer ensuite à la vente dans sa propre échoppe Second Life et pour son propre compte.
Un tel comportement constitue bien un cas de concurrence déloyale ou parasitaire, ouvrant à l’utilisateur dont les produits auraient été copiés une action contre l’utilisateur copieur, bien que l’ensemble des faits se soient déroulés dans l’univers de Second Life.
2.1.2. Concurrence déloyale par dénigrement
Trois situations de concurrence déloyale par dénigrement sont envisageables.
Le dénigrement, dans Second Life, d’entreprises du monde réel – Cette première hypothèse concerne le cas où, par exemple, une entreprise du monde réel ferait distribuer dans Second Life des tracts contre une société concurrente.
Le dénigrement, dans le monde réel, de « Résidents » ou de produits de Second Life – Relève de cette catégorie le cas où un utilisateur mécontent se plaindrait, par exemple sur des forums de discussion, de la mauvaise qualité de la modélisation ou de l’animation d’un objet virtuel qu’il aurait acquis dans Second Life.
Le dénigrement entre utilisateurs de Second Life – Enfin, il est envisageable qu’un résident dénigre, dans Second Life, les produits ou les services commercialisés ou fournis dans Second Life par un autre résident.
2.1.3. Concurrence déloyale par désorganisation
Les seuls cas réellement envisageables de désorganisation dans Second Life sont ceux du débauchage et de la divulgation de savoir-faire.
2.1.3.1. Le débauchage
On peut identifier trois cas possibles de débauchage liés à Second Life.
Le débauchage de Résidents par des moyens réels – Si l’on peut constater dans Second Life l’existence de relations entre Résidents qui s’apparentent à de l’esclavage, on n’y trouve pas (encore) de relation régie par un contrat de travail.
Dès lors, envisager l’existence d’actes de débauchage de Résidents paraît délicat.
Pour autant, il ne faut pas oublier qu’une entreprise qui développe une activité dans Second Life est avant tout une entreprise réelle, qui peut demander à un ou plusieurs de ses salariés d’animer un ou plusieurs Résidents.
Cette entreprise s’expose alors à ce que ce ou ces salariés soient débauchés par une entreprise concurrente, qui souhaiterait que ces salariés mettent leurs Résidents à son service[14].
Ces faits peuvent naturellement relever du débauchage illicite, si les conditions classiques en sont réunies.
Le débauchage de salariés réels par des moyens liés à Second Life – Il s’agit du cas de figure dans lequel une entreprise utiliserait Second Life pour entrer en contact avec des salariés d’une entreprise concurrente afin de les débaucher.
Ce cas est tout à fait plausible et ne pose pas de difficulté particulière, d’autant que Second Life est utilisé de longue date, de façon similaire à un logiciel de vidéoconférence, pour tenir des entretiens d’embauche à distance.
Le débauchage de Résidents par des moyens liés à Second Life – Cette hypothèse ne présente pas de particularité et peut être réduite à la première : les moyens du débauchage sont en effet indifférents.
2.1.3.2. La divulgation de savoir-faire
Un savoir-faire propre à une activité exercée dans Second Life (qui peut porter notamment sur la présentation des objets dans une boutique virtuelle ou à la promotion de ces objets) est un savoir-faire parfaitement réel, bien qu’il s’applique à des objets virtuels.
Dès lors, sa divulgation peut parfaitement donner lieu à une action en concurrence déloyale.
2.1.4. Le cas de la « tortious interference »
Le grief de « tortious interference » – Si l’on distingue nettement, en droit français, les deux régimes juridiques que sont la responsabilité civile délictuelle et la responsabilité civile contractuelle, les choses ne sont pas toujours aussi claires en Common law, où la relation contractuelle n’exclut pas forcément la recherche d’une responsabilité extra-contractuelle.
Ainsi, le grief de « tortious interference » (interférence dommageable) correspond pour partie à notre notion de concurrence déloyale par désorganisation mais peut également intervenir entre acteurs liés contractuellement.
Il recouvre le fait, pour une personne, de s’immiscer dans les relations d’affaires d’une autre, afin de l’empêcher de développer son entreprise.
De tels agissements, tout à fait envisageables dans Second Life, peuvent intervenir soit entre utilisateurs, soit entre Linden et un utilisateur ainsi que deux cas l’ont illustré.
L’affaire Minsky contre Linden Lab[15] – Dans cette affaire, un utilisateur, Richard Minsky, avait ouvert en mars 2008, dans Second Life, une galerie d’art au sein de laquelle il vendait des œuvres acquises auprès d’autres utilisateurs.
Il avait également lancé une revue d’art publiée à la fois sur un site internet, en tant que magazine réel, et sur Second Life, en tant que magazine virtuel.
Pour mener ses activités, il avait choisi le nom « SLART », qu’il avait déposé en tant que marque auprès de l’Office américain des brevets et des marques.
Fin mars 2008, Minsky a découvert sur Second Life une autre galerie d’art ayant pour enseigne virtuelle le nom « SLART Garden », tenue par un Résident dénommé Victor Vezina.
Après avoir adressé à ce Résident une mise en demeure virtuelle (et infructueuse) de cesser l’utilisation du terme SLART, Minsky s’est tourné vers Linden, à qui il a demandé de faire cesser l’usage illicite de sa marque et de lui communiquer l’identité de « Victor Vezina ».
Face au refus de Linden, Minsky a poursuivi Linden pour contrefaçon de marque, dilution et « tortious interference ».
Minsky reprochait en effet à Linden de lui cacher délibérément l’identité de « Victor Vezina » et de refuser de faire cesser l’usage de sa marque SLART afin de l’empêcher de développer ses affaires.
L’affaire a finalement donné lieu à une transaction.
L’affaire Eros LLC contre Linden Research[16] – Un utilisateur contrôlant un résident dénommé « Stroker Serpentine », qui vendait dans Second Life un lit « SexGen » pour le prix de 12 000 L$ (équivalant à 45 $ réels) a poursuivi la société Linden car d’autres Résidents, vendaient le même lit au prix de 4 000 L$ (environ 15 $).
Cet utilisateur, rejoint dans son action par une autre demanderesse, Shannon Grei, titulaire d’une marque « Nomine » pour des vêtements, et victime de faits similaires, invoquait notamment à l’encontre de Linden des actes de concurrence déloyale (« unfair competition »), de publicité mensongère et d’interférence dommageable (« tortious interference »).
Les demandeurs accusaient en effet Linden de fournir des outils pour reproduire les produits en cause, de contribuer ainsi aux comportements déloyaux incriminés, et de tirer profit de la situation (à chaque vente réalisée sous Second Life, Linden prélève en effet une commission).
A titre de sanction, Eros LLC et Shannon Grei réclamaient des dommages et intérêts, la restitution des profits réalisés illicitement, à leur sens, par Linden, ainsi que diverses autres mesures.
Cette affaire s’est elle aussi conclue par une transaction confidentielle. Mais ces deux cas illustrent parfaitement la notion de tortious interference, en ce que l’existence de relations contractuelles n’exclut pas nécessairement toute action en responsabilité délictuelle.
2.2. Les sanctions de la déloyauté
Un même acte déloyal commis dans Second Life peut donner lieu à deux types de sanctions, selon qu’on l’examine à la lumière du rapport contractuel qui lie l’utilisateur et Linden (2.2.1) ou à la lumière du rapport délictuel, seul possible entre personnes n’ayant pas contracté et se causant un dommage concurrentiel (2.2.2).
2.2.1. Les sanctions contractuelles
On a vu que la concurrence déloyale commise au sein de ou via Second Life constitue une violation des Termes du service.
Or, la violation des Termes du service par un utilisateur engage sa responsabilité contractuelle et peut donner lieu à deux types de sanction.
Tout d’abord, l’article 11.3 des Termes du service prévoit que leur violation peut être sanctionnée par la suspension ou la résiliation du contrat d’utilisation[17].
En outre, ces dispositions ne sont pas exclusives d’une action en responsabilité contractuelle si Linden estime que le comportement de l’utilisateur violant les Termes du service lui a causé un préjudice.
Ainsi, si la société Linden vient à prouver que le comportement de l’utilisateur lui a fait perdre des utilisateurs payants, elle pourra agir devant les Tribunaux afin d’être indemnisée de son préjudice.
Réciproquement, si c’est un utilisateur qui estime que Linden n’a pas respecté ses obligations, il pourra engager une action en responsabilité contractuelle devant les tribunaux et demander réparation du préjudice subi.
2.2.2. Les sanctions délictuelles
Les rapports entre utilisateurs, ou entre utilisateurs et tiers, ne sont pas encadrés par un lien contractuel.
La responsabilité délictuelle retrouve donc toute sa place et, avec elle, les sanctions classiques telles que l’interdiction de poursuivre le comportement litigieux ou encore la condamnation au paiement de dommages et intérêts.
Olivier Moussa, Avocat associé
[1] Cet article est issu d’une intervention au colloque intitulé « Droit et économie dans Second Life » organisé le 27 janvier 2011 par le Centre de Droit et Nouvelles Technologies de l’Université Jean Moulin Lyon 3
[2]“Second Life is an adults-only online 3D virtual world that allows its users to do exactly what the name implies: live a second life separate and distinct from the users’ real-world lives. Within Second Life, users (known as “Residents” can obtain employmen, purchase land, commit crimes, build homes and careers, make friends, fall in love, have sex, visit museums, and most important, make and spend money. Some proprietors within Second Life, including Plaintiffs, sell (virtual) items protected by real-world copyrights and trademarks” – Eros LLC vs Linden Research Inc., U.S. District Court, Northern District of California, Case No. 09-cv-04269
[3] « Do androids dream of electric sheep« , 1966, adapté au cinéma par Ridley Scott sous le titre « Blade Runner »
[4] Si le sujet de l’intervention appelait à évoquer les pratiques restrictives de concurrence, régies par les articles L.442-1 et suivants du Code de commerce, telles que marges arrières, rupture brutale de relations commerciales établies ou encore refus de communication des conditions générales de vente, ces questions n’ont pas été étudiées dès lors qu’elles semblent dépourvues d’application pratique dans Second Life.
Pour les mêmes raisons, la question de la réglementation de la concurrence (entente, abus de position dominante), qui avait abordée rapidement dans le cadre de l’intervention du 27 janvier 2011 dont cet article constitue la reprise, ne sera pas évoquée ici.
[5] Article 12.2 des Termes du service : “The applicable law and venue for any non-arbitrated dispute is California”.
[6] TGI Paris, ord. réf., 2 juillet 2011, RG n° 07/54956, www.juriscom.net
[7] http://community.secondlife.com/t5/Features/French-Court-Rules-in-Favor-of-Linden-Lab/ba-p/582386 : “The case also confirms that French law, and in particular the law of Confidence in the Digital Economy, should be applied to Second Life”.
[8] Article 4.1 des Termes du service : “ « Intellectual Property Rights » means copyrights, trademarks, service marks, trade dress, publicity rights, database rights, patent rights, and other intellectual property rights or proprietary rights recognized by law”.
[9] Article 4.4 des Termes du service : “Intellectual property infringement on the Service is a violation of this Terms of service, and you agree not to engage in such infringement. It is our policy to respond to notices of alleged copyright infringement that comply with the Digital Millennium Copyright Act and to terminate the accounts of repeat infringers in appropriate circumstances.”
[10] Article 7.8 des Termes du service : “You agree to respect the Intellectual Property Rights of other users, Linden Lab, and third parties. You agree that you will not upload, publish, or submit to any part of the Service any Content that is protected by Intellectual Property Rights or otherwise subject to proprietary rights, including trade secret or privacy rights, unless you are the owner of such rights or have permission from the rightful owner to upload, publish, or submit the Content and to grant Linden Lab and users of the Service all of the license rights granted in these Terms of Service.”
[11] Article 3.2 des Termes du service : “You are responsible for all activities conducted through your Account. In the event that fraud, illegality or other conduct that violates this Agreement is discovered or reported (whether by you or someone else) that is connected with your Account, we may suspend or terminate your Account (or Accounts) as described in Section 11” et article 11.3 : “We may suspend or terminate your Accounts for violation of this Agreement.”
[12] “If you’re creating objects inspired by real-world objects, take care that your objects have an original appearance and shape. That’s the best way to avoid trade dress issues.”
[13] “If you are a trademark owner or a celebrity and you believe your rights have been infringed in Second Life, please submit a notification of infringement in writing to: Linden Research, Inc. Attn: Legal Department 945 Battery Street San Francisco, CA 94111. Alternatively, fax the document to (415) 520-9660.”
[14] Ceci pour le cas où les salariés auraient été embauchés en considération des Résidents qu’ils animent dans Second Life. En effet, lorsque à l’inverse les salariés en question ont été embauchés afin d’animer les Résidents créés par leur employeur, celui-ci conserverait, à l’issue du contrat de travail, les droits sur ces Résidents, de sorte que leur « débauchage » est impossible, seuls les salariés réels pouvant être concernés.
[15] Richard Minsky v. Linden Research, Inc. – U.S. District Court for the Northern District of New York, Case No. 1:08-CV-819
[16] Eros LLC v. Linden Research Inc., U.S. District Court, Northern District of California, Case No. 09-cv-04269, préc.
[17] Article 11.3 des Termes du service : “We may suspend or terminate your Accounts for violation of this Agreement. Your rights to any compensation or recourse are limited to those provided herein.”