Le référencement sur internet est un art compliqué mais permissif : les annonceurs l’ont compris et n’hésitent plus à réserver les marques et autres signes distinctifs de leurs concurrents à titre de mot-clé, afin de faire afficher leurs propres publicités en tête des résultats d’une recherche.

La jurisprudence française a longtemps jugé contrefaisant l’usage d’une marque à titre de meta-tag dans le code source d’un site concurrent (Paris, 19 mars 2008, www.legalis.net – Les tribunaux français sont revenus sur cette position à l’occasion du jugement « Free » du 29 octobre 2010 : TGI Paris, 29 oct. 2010, www.legalis.net).

Par une première série d’arrêts de 2010, la Cour de Justice de l’Union Européenne a largement libéralisé l’usage de la marque d’un tiers aux fins de référencement (CJUE, 23 mars 2010, C-236/08 à C-238/08, Google / Louis Vuitton, Bourse des Voyages, Eurochallenges).

Elle a en effet considéré que, dans la plupart des cas, il n’y a pas contrefaçon à réserver la marque d’un concurrent à titre de mot-clé publicitaire.

La Cour réservait la contrefaçon au cas dans lequel. « l’annonce, tout en ne suggérant pas l’existence d’un lien économique, reste à tel point vague sur l’origine des produits et services en cause qu’un internaute normalement  informé et raisonnablement attentif n’est pas en mesure de savoir , sur la base du lien promotionnel et du message promotionnel qui y est joint si l’annonceur est un tiers par rapport au titulaire de la marque ou une entreprise économiquement liée à celui-ci ».

Par ailleurs, cet arrêt exonérait de toute responsabilité le référenceur (en l’espèce Google) qui stocke en tant que mot-clé un signe identique à une marque et organise l’affichage d’annonces à partir de celui-ci, ce référenceur ne faisant pas un usage de ce signe à titre de marque.

Avec, l’arrêt « Interflora » (CJUE, 22 sept. 2011, C-323/09), les juges du Luxembourg ont encore assoupli la règle puisque la Cour a posé une autorisation de principe d’un tel usage de marque.

Cependant, cette autorisation de principe est encadrée par certaines conditions.

Ainsi, l’annonceur doit rédiger sa publicité de façon à éviter tout risque d’association entre son annonce et le titulaire de la marque.

Les Tribunaux français ont établi un certain nombre de critères permettant de déterminer dans quels cas l’usage de tels mots-clés est contrefaisant, eu égard à ce risque d’association.

Aux termes de cette jurisprudence, le risque de confusion avec les produits et services commercialisés par l’annonceur n’est pas établi si :

– les messages publicitaires rendent parfaitement possible au sens de l’article 20 de la LCEN l’identification de la personne, physique ou morale, pour le compte de laquelle le message publicitaire est diffusé, dès lors qu’ils renvoient respectivement à des sites où sont indiqués les éléments d’identification de l’éditeur : forme juridique, dénomination sociale, enseigne, n° RCS  (Paris, 2 février 2011, Google France / Auto IES, www.legalis.net) ;

– l’annonce se déclenche dans une colonne intitulée « liens commerciaux », nettement séparée de celle afférente aux résultats naturels de la recherche effectuée avec ces mots-clés (Lyon, 1ère Ch., 22 mars 2012, affaire Rentabiliweb, www.legalis.net) ;

– la rubrique dédiée aux messages promotionnels est exempte de tout signe constituant une reproduction ou une imitation de la marque objet de la recherche et que, en particulier, les messages, pris en eux-mêmes (Lyon, 1ère Ch., 22 mars 2012, affaire Rentabiliweb, www.legalis.net) ;

– les messages publicitaires se bornent à désigner de façon générique les produits  promus sans référence implicite ou explicite à la marque du titulaire (Lyon, 1ère Ch., 22 mars 2012, affaire Rentabiliweb, www.legalis.net) ;

– les messages sont suivis de l’indication, en couleur, d’un nom de domaine ne présentant aucun rattachement avec le titulaire de la marque (Cass com, 25 sept. 2012, Google France / Auto IES, n° 11-18110) ;

A l’inverse, les Tribunaux considèrent que l’annonceur qui utilise une marque à titre de mot-clé pour déclencher un lien commercial relatif à des produits identiques ou similaires à eux désignés par la marque commet un acte de contrefaçon si son annonce :

– fait une référence même implicite au signe du concurrent au sein du texte de son annonce ou de son URL (Cass com, 25 sept. 2012, Google France / Auto IES, n° 11-18110) ;

– reprend la marque tierce au sein-même  de l’annonce (Paris, 15 sept. 2010, PCA / Suza, Google France, RG n° 07/0255) ;

– fait référence aux produits du titulaire de la marque (Paris, 15 sept. 2010, PCA / Suza, Google France, RG n° 07/0255).

On l’aura compris, l’usage à titre de mot-clé de la marque d’autrui est largement permis par les juges et Google encourage également cet usage depuis septembre 2010, puisque depuis cette date aucune vérification n’est plus effectuée par le référenceur sur ces mots-clés.

Cependant, le titulaire de marque n’est pas totalement désarmé face à ces pratiques.

Outre les conditions de l’usage fait de sa marque par l’annonceur tiers, dont il conviendra de vérifier la licéité au vu de la jurisprudence, deux autres possibilités s’offrent à lui.

Tout d’abord, si la marque en jeu est une marque notoire ou renommée, les règles du jeu changent puisque le titulaire est habilité à en interdire tout usage qui lui « porterait préjudice », sur le fondement de la responsabilité civile délictuelle (Directive 2008/95/CE, art. 5 §2 et Code de la propriété intellectuelle, art. L. 713-5).

La Cour de Justice, dans son arrêt Interflora, prévoit ainsi expressément que le titulaire d’une marque renommée est habilité à interdire à un concurrent de faire de la publicité à partir d’un mot-clé correspondant à cette marque, lorsque ce concurrent tire un profit indu du caractère distinctif ou de la renommée de la marque (parasitisme) ou lorsque la publicité porte préjudice au caractère distinctif (dilution) ou à la renommée (ternissement) de la marque.

La Cour estime par ailleurs que s’agissant de marques renommées, la volonté de profiter de leur renommée est présumée, et le grief de parasitisme constitué, en l’absence de « juste motif ».

Dès lors, l’usage de marques renommées à titre de mot-clé s’avère réellement périlleux pour l’annonceur.

Par ailleurs, les plaideurs imaginatifs commencent à agir sur le terrain de la concurrence déloyale en invoquant l’achat à titre de mot-clé par un concurrent, non pas de leur marque, mais de leur dénomination sociale, de leur nom commercial ou encore de leur nom de domaine (signe distinctif évidemment crucial sur le Web).

Il vient ainsi d’être jugé que ces actes constituent bien une atteinte à ces différents signes, qui génère nécessairement une confusion dans l’esprit de la clientèle, et que ce comportement constitue donc un acte de concurrence déloyale et de parasitisme (Paris, 13 juillet 2012, Lucheux / Go Assurances, affaire Assurpeople.com, www.legalis.net).

Olivier Moussa, Avocat associé

Cécile Boivin, Avocat