L’enjeu du droit d’auteur de demain sera-t-il la démonstration d’une intervention humaine ?
Le droit d’auteur semble bien devoir rester une affaire humaine. Un juge fédéral a confirmé vendredi 18 août 2023 la position du bureau américain du droit d’auteur (U.S. Copyright Office) selon laquelle une œuvre d’art créée par l’IA n’est pas susceptible de protection. La décision a été rendue dans une ordonnance rejetant la demande de Stephen Thaler qui contestait la position du gouvernement refusant d’enregistrer les œuvres réalisées par IA. Dans cette décision, le juge fédéral souligne que « la paternité humaine est une exigence fondamentale » au droit d’auteur qui ne pourrait pas être « étiré » à ce point que de pouvoir s’en passer.
Ceci est certainement rassurant (surtout venant d’une juridiction américaine), car le droit d’auteur est consubstantiellement fait pour protéger la production de l’esprit humain, ce qu’il insuffle à son œuvre qui est le prolongement de son esprit. Cette décision s’inscrit dans la droite ligne d’une précédente de la cour d’appel fédéral qui avait refusé la protection du copyright à l’autoportrait pris par un singe.
Tout cela ne signifie pas que les œuvres générées à l’aide de l’IA sont totalement insusceptibles de toute protection par le droit d’auteur. Lorsque l’intelligence artificielle est utilisée comme un outil de création, c’est-à-dire au-delà d’une simple requête, on pourrait tout à fait soutenir que la succession des prompts et les ajustements de la création qui en découlent sont de nature à révéler les choix artistiques de l’auteur. Et on comprend alors que l’intervention humaine redeviendrait prédominante.
Le parallèle peut être fait avec la photographie. Ainsi, des prises de vue peuvent, en l’espace d’une fraction de seconde, être élevées au rang d’œuvres de l’esprit, uniquement par la force des choix artistiques du photographe (cadrage, exposition, contraste, etc.). Ces choix permettent alors au photographe de ne plus être considéré comme un habile technicien de son matériel photographique, mais comme un auteur digne d’être protégé jusqu’à 70 ans après sa mort. Si la machine y est alors pour une grande part, elle n’a pour autant pas pris part à l’essentiel : l’essence de l’œuvre.
Mais il faut certainement aller plus loin car la comparaison entre l’IA et le pinceau comme étant tous deux des instruments de création ne tient guère : le pinceau ne court pas tout seul sur la toile !
Si l’on reprend le cas de l’œuvre digitale créée par une intelligence artificielle qui a remporté le prix de la plus belle œuvre d’art numérique à l’occasion de la Colorado State Fair, son auteur Jason Allen répondait à ses détracteurs (criant à la mort de l’art) que la création de l’œuvre aurait nécessité plus de 80 heures de travail ! Il explique avoir dicté des centaines de prompts pour expliquer ses attentes à la machine, laquelle a généré près de 900 images. Jason Allen en aurait finalement retenu seulement trois, qu’il a superposé puis imprimé. Il y aurait donc une intervention humaine. La question demeure de savoir si cette intervention serait suffisante pour remplir le critère de « créativité humaine » aux yeux des magistrats.
Dans ses récentes lignes directrices sur le sujet ( Copyright Registration Guidance : Works Containing Material Generated by Artificial Intelligence, 10 mars 2023, 88 FR 16190, 37 CFR 202, doc. N° 2023-05321) le Copyright Office étudie les conditions d’enregistrement des œuvres incluant des éléments générés par l’IA. Ces critères d’analyses semblent déjà très matures et ont été utilisés pour refuser l’enregistrement de l’œuvre « A Recent Entrance To Paradise ». Ces critères s’en trouvent donc confirmés par la justice.
Selon l’Office, l’objectif est de déterminer « si l’œuvre est fondamentalement une œuvre créée par l’homme, l’ordinateur n’étant qu’un instrument d’assistance, ou si les éléments traditionnels de la paternité dans l’œuvre (…) ont en fait été conçus et exécutés non pas par l’homme, mais par une machine ».
Aussi, quand l’œuvre incorpore du matériel généré par l’IA, l’Office examinera si les contributions de l’IA sont le résultat d’un « simple procédé mécanique qui fonctionne de manière aléatoire ou automatique sans aucune contribution créative ou l’intervention d’un auteur humain », ou plutôt de la « propre conception mentale originale de l’auteur, à laquelle l’auteur a donné une forme visible ».
La solution découle donc majoritairement du fonctionnement de l’outil d’IA et de la manière dont il a été utilisé par l’auteur en puissance, pour créer l’œuvre finale. Cela pourra déboucher sur une protection partielle de l’œuvre, limitée aux éléments sous le contrôle artistique actif de l’auteur. Le Copyright Office exige d’ailleurs que le demandeur à l’enregistrement déclare les parties issues de l’usage d’une IA et celle résultant d’une intervention humaine.
Donc bien loin de juger classiquement de l’impression d’ensemble de l’œuvre, on assiste à un glissement vers une analyse détaillée du processus de création artistique qui rejoint la démonstration de plus en plus complexe de l’originalité déjà constatée en France.
La preuve de l’intervention humaine dans ce processus, en termes de qualité et de quantité, va certainement devenir un enjeu central pour les artistes.
Aussi, même les œuvres publiées ne souffrant pas de discussion quant à leur titulaire vont sans doute devoir se soumettre à l’exercice du dépôt des travaux préparatoires, comme le scientifique tenant son journal d’expérimentation pour démontrer la fiabilité de ses protocoles et résultats d’expérience. L’image d’Épinal de l’artiste doux-dingue créant pieds nus dans son atelier en prend un coup ! Les créateurs utilisateurs de l’IA devront veiller à laisser des traces, notamment de leurs « échecs » ou pistes recalées, ce qui ne sera pas sans conséquences pour les formes d’art les plus spontanées. Mais les créateurs abhorrant l’IA doivent aussi se sentir concernés par l’impératif de prouver qu’ils ont créé eux-mêmes et de leurs mains seules, dans un monde où l’IA vient progressivement s’immiscer partout (y compris nativement dans des outils comme Photoshop®).
Autre tendance que l’on voit se dégager, notamment au-travers du règlement européen sur l’intelligenc artificielle (IA Act) récemment adopté, la nécessité de déclarer l’origine non-humaine de la création, sorte de label « Generated by IA system » qui permettrait aux tiers de se positionner plus simplement sur la nature du contenu qu’il a sous les yeux. Ce qui déborde largement la seule question du droit d’auteur.