L’étendue de la protection d’un logiciel est une question toujours complexe. En effet, il est souvent difficile de distinguer au sein du programme d’ordinateur ce qui est protégeable de ce que ne l’est pas. Le principe de la protection du logiciel par le droit d’auteur, énoncé notamment par la directive du 14 mai 1991[1], implique que les éléments protégeables doivent répondre aux exigences de forme et d’originalité. De ce fait, il est donc évident que « les idées et les principes qui sont à la base de la logique, des algorithmes et des langages de programmation ne [soient] pas protégés »[2] en vertu de la directive.
Dans le cadre d’une question préjudicielle, la Cour de Justice de l’Union Européenne vient de rappeler (CJUE, 2 mai 2012, aff. C-406/10 SAS Institute Inc. / World Programming Ltd) l’exclusion des fonctionnalités et du langage de programmation du champ de la protection des logiciels[3]. En l’espèce, l’éditeur SAS Institute Inc. avait mis au point un système composé d’un ensemble de programmes permettant l’analyse de données, notamment des analyses statistiques. Le système SAS permettait d’écrire et d’exécuter des programmes d’application (scripts) selon un langage de programmation propre dit « langage SAS ». Cet éditeur avait intenté une action contre la société World Programming Ltd (WPL) qui avait développé un système reprenant des fonctionnalités similaires au système SAS et permettant d’exécuter des programmes d’application écrits en langage SAS. Pour créer un tel système, WPL avait acquis des versions d’apprentissage du système SAS et les avait étudiées afin de comprendre le fonctionnement de ce système. Sur le principe, cet arrêt n’apporte aucun élément nouveau par rapport au texte de la directive et vient même en faire une parfaite application en retenant que « ni la fonctionnalité d’un programme d’ordinateur, ni le langage de programmation et le format de fichiers de données utilisés dans le cadre d’un programme d’ordinateur pour exploiter certaines de ses fonctions ne constituent une forme d’expression de ce programme et ne sont, à ce titre, protégés par le droit d’auteur sur les programmes d’ordinateur au sens de la directive ».
Par ailleurs, la Cour de Justice a rappelé l’exception selon laquelle « la personne ayant obtenu une copie sous licence d’un programme d’ordinateur peut, sans l’autorisation du titulaire du droit d’auteur, observer, étudier ou tester le fonctionnement afin de déterminer les idées et les principes qui en sont à la base (…) à condition qu’elle ne porte pas atteinte aux droits exclusif du titulaire du droit d’auteur sur ce programme» et la Cour a de fait jugé que la société WPL n’avait pas porté atteinte au droit d’auteur sur ce programme dans la mesure où il n’était pas prouvé que cette dernière ait eu accès aux codes sources, par quelque moyen que ce soit.
Pour ce qui est des fonctionnalités, cette logique n’est pas surprenante dans la mesure où celles-ci ne constituent qu’un résultat qui peut être atteint par divers moyens différemment formalisés. Cette position avait déjà été retenue par la jurisprudence antérieure qui précisait que les fonctionnalités sont directement commandées par la fonction et sont, de ce fait, incompatible avec le droit d’auteur des programmes d’ordinateur.
En ce qui concerne le langage de programmation, la décision affirme que celui-ci n’est en rien une forme d’expression du programme et doit donc être exclu de la protection par le droit d’auteur spécifique aux logiciels. C’est dire que le langage de programmation n’est pas un programme en soi car il n’y a pas de choix de programmation. En effet, c’est le choix qui permet l’existence d’une originalité du code source. Par conséquence, la reprise du seul langage pour programmer un logiciel concurrent reposant sur des choix différents, celle-ci ne constitue pas une contrefaçon.
Dès lors, il faut relever une subtilité importante quant aux implications de cette décision. En effet, l’analyse de la Cour ne s’applique que dans le cadre de la protection reconnues aux logiciels au sens de la directive, et non au regard du régime commun du droit d’auteur. Aussi, selon notre analyse, ce n’est pas pour autant que la protection des langages de programmation ne doit pas être recherchée parmi d’autres dispositifs. En effet, un langage est déjà une matérialisation d’un concept ou d’une idée. Il y a donc expression. Ainsi, étant donné qu’il ne revient pas au juge d’apprécier le mérite, le genre ou l’expression de ces éléments, ce dernier se doit de vérifier si la condition d’originalité est bien remplie. Ainsi, même si le critère d’originalité semble complexe à vérifier, le langage de programmation pourrait théoriquement être protégé par le droit d’auteur même si une telle option semble économiquement peu opportune.
On pourra enfin noter la portée plus vaste qu’il n’y paraît de cet arrêt. En effet, en réaffirmant la non protection des simples concepts et idées portant une fonctionnalité, la CJUE porte un nouveau coup dur aux partisans de la brevetabilité du logiciel, qui consiste justement à protéger par un monopole une idée ou un concept mis en œuvre par un ordinateur.
Œuvre collective :
Pierre BATAILLE – Juriste – Gérald SADDE – Avocat
[1] Directive (CE) n°91/250 du 14 mai 1991 concernant la protection juridique des programmes d’ordinateurs
[2] Considérant n°14 de la Directive n°91/250
[3] TGI Paris, 4 octobre 1995, Mage / Pando, JCP éd. G 1996, II, n°23673, note Croze